vendredi 13 août 2010

Poisson rouge : Lettre ouverte pour un répondeur

Une jeune femme rentre chez elle. Elle dépose ses affaires et jette un coup d'œil à sa machine. Un message enregistré:
« Prend au moins la peine d'écouter ce que j'ai à te dire. Je sais que c'est inutile de t'appeler, d'essayer de te rejoindre quand tu ne fais que m'ignorer. Tu effaces toute trace de mon existence, je n'existe même plus sur papier. Et bien moi aussi j'aimerais en faire de même. T'oublier, effacer tout souvenir de toi. Même les bons. Je ne veux plus être conscient de ton existence, ça me tue de penser à toi, te savoir si distante, hors d'atteinte, hors de mon étreinte... Dis moi que tu t'es trouvé un copain, qu'il prend bien soin de toi et que tu es passée à autres choses. Que t'es heureuse dans ton petit coin tranquille, entourée de verdure, un endroit où tu compte finir tes jours paisiblement, c'est ce qu'on souhaitait non? J'ai tant essayé, personne ne me convenait pour remplacer la place vide que tu as laissé à côté de moi dans mon lit. Je me réveille parfois la nuit, croyant avoir senti ton odeur, certain de ta présence. Je crois peut-être avoir trouvé la solution. Plus j'y pense, je vais imiter ton opération. Je passe à la chirurgie. Je surligne en gros le morceau a retirer. Oublions l'anesthésie, je veux vivre pleinement ce moment. Me souvenir de la douleur. Me rappeler à quel point j'ai souffert, et que je ne veux plus jamais revivre pareil calvaire. Laisser tout derrière moi, et devant moi, le néant. Bonne nuit.»

jeudi 22 juillet 2010

Poisson rouge: extrait 1

Docteur? Oui.
Croyez-vous qu'il y a des chances qu'il se réveille un jour?
Et bien, il est dans un coma de puis une semaine déjà, 80% des patients qui ne se sont pas réveillés dans les 3 jours précédents l'incident ne se réveillent jamais.
Puis, la plupart de ceux qui nous reviennent n'ont pas toute leur capacité cérébrale.
Désoler, mais je ne crois pas qu'il est prêt d'ouvrir les yeux de si tôt, d'ailleurs, je ne lui souhaite pas.

Je me suis réveillé ce matin dans mes draps bleus et blancs. Encadré par quatre murs ornés de nombreuses photos, de vagues souvenirs et de vestiges de mon passé, j'essaie de me souvenir ce que l'on m'a servi pour déjeuner hier matin. Deux œufs bacon, Monsieur Dubord? Malheureusement, j'ai oublier, tout oublier. Je peine à reconnaître les visages sur les photos de famille, à me rappeler comment j'ai pu aboutir dans ce foutu lit. Hier, je peine à me souvenir d'hier...
Le médecin m'informe que hier ne devrait pas préoccuper mes pensées et que je plutôt devrais me soucier de demain: essayer d'aller de l'avant, m'attarder sur ce qui m'attend. Easier said then done Doc. Un peu dur de savoir ce que l'on veut quand on ne se rappelle plus de qui on était, de ce qu'on a voulu.
Le visage du médecin est embrumée, mes yeux sont rivés sur l'enfant qui joue dans le coin gauche de la pièce. Il ne porte pas attention à notre conversation, trop concentré à assembler une maison avec les blocs lego éparpillées sur le plancher. De loin, on dirait un casse-tête. Il agit comme si on n'existait pas, immunisé contre le monde extérieur. Docteur me parle de réhabilitation, de réinsertion dans la société, ses paroles s'envolent sans que je puisse entièrement en saisir le sens. Un infirmière fait irruption dans la pièce en transportant une boîte pleine d'objets familiers, mais méconnus. Chouette, encore des photos. L'enfant se lève et laisse la maison multicolore inachevée sur la céramique. Je peux encore l'entendre courir dans le corridor, dévaler les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée, puis franchir la porte de sortie, enfin libre. Je me sens encore plus seul avec monsieur le médecin et madame l'infirmière. Mais à qui était cet enfant? C'est le mien? Peut-être que c'est moi? Et moi, je suis qui?

Cette nuit-là, je fis un rêve étrange.

vendredi 9 juillet 2010

Pour en finir avec l’Histoire et le syndrome de Stendhal

Je voudrais m’excuser aux lecteurs pour le chaos qui règne d’une main de fer dans la structure de ce texte. Je ne suis pas un écrivain. Seulement chroniqueur.

J’ai toujours été habité par l’étrange sentiment d’être né à la mauvaise époque, d’être légèrement décalé. Vivre la révolution tranquille, regarder Mai 68 à la télévision, applaudir la nouvelle-vague au cinéma, supporter la révolution chinoise et cubaine (hasta la victoria siempre comme disait le t-shirt). Merde, pourquoi je suis né après la chute du mur, pendant la chute du communisme. Les années 60-70 me représentent bien mieux que la mondialisation, non? Avec quelques coups de pieux, ces foutus allemands on réussit à créer une brèche béante dans un mur à travers laquelle tout passe, tout passe sans cesse. La cadence à accélérer et tout va trop vite maintenant. Je n’en peux plus, j’étouffe. Foutue canicule. Ces jours-ci, on ne peut même plus prendre le temps de regarder tout droit dans le soleil sans être aveuglé. Avant oui, mais maintenant tout n’est qu’information et propagation. Information et propagation. Transmitting virus and disease. Normal que l’on ait autant peur de la grippe. Ça va finir par nous tuer. Si on restait chacun dans nos trous sans jamais se croiser, si au moins….À quand la révolution?!? Réveillez-moi quand vous entendrez le martèlement du tambour, je veux la voir de mes propres yeux!
Stop, c’est l’heure de la clope .

Inserting The Miror. Press play :
« Ignat s’avance vers un téléviseur et l’ouvre. En noir et blanc y apparaît l’image d’une infirmière et d’un adolescent infirme. Du moins, on croit que c’est un handicapé, mental ou physique. Il bégaie et éprouve de la difficulté à répondre aux questions de l’infirmière. Quel est ton nom? D’où viens-tu? Vas-tu à l’école? Yuri Zhari. Je viens de Kharkov (l’ancienne capitale de l’Ukraine soviétique). Je vais à une école de métier (pour mieux apprendre à fixer le boulon sur le moteur du tank dans mon usine industrielle pour la gloire de l’URSS!). Maintenant c’est le temps de faire l’exercice d’hypnotisme. L’infirmière demande au garçon de la regarder droit dans les yeux. Obnubilé, le jeune homme se penche lentement vers la femme et en perd l’équilibre. Elle le redresse. Elle met sa main derrière sa tête. Je vais reculer ma main et tu vas essayer de la suivre avec ta tête. Elle recule sa main jusqu’à ce qu’il perd l’équilibre à nouveau. Elle empoigne ses mains. Maintenant, concentre-toi sur tes mains. La caméra zoom-out et l’ombre d’un micro apparaît sur le mur derrière Yuri pendant qu’il essaie de garder ses mains immobiles. Concentre ta volonté, ton désir de réussir dans tes mains. Tes mains sont tendues. Je vais compter jusqu’à trois. À trois, tes mains seront rigides. Un, deux, trois! Elle les lâche. Regarde tes doigts, ils sont tendus. La tension dans ta tête voyage jusqu’à tes doigts. Tes mains sont maintenant rigides, tu essaies de les bouger, mais tu en es incapable. Elle pose son index sur la tempe de Yuri. Maintenant je vais te débarrassé de la tension dans ta tête. Tu vas parler clairement et sans le moindre effort. Tu vas bien parler. Tu vas parler fort pour toute ta vie. Elle place ses mains sur le crâne du jeune homme. Je vais enlever cette tension qui est responsable de ton bégaiement. Un, deux, trois! Dit : «je peux parler». Yuri, sans effort : «je peux parler». Le titre du film apparaît : Зеркало »
Un miracle? Seulement à la télévision soviétique. Yuri l’Ukrainien bégayait des mots incohérents qui reflètent des traumatismes d’enfances : guerres, goulags, travail forcé, longue vie à l’URSS! C’est ce que j’ai compris de cette scène d’ouverture du film de Tarkovski (annotée de quelques commentaires personnels). Dans cet autoportrait, Tarkovski nous témoigne des horreurs vécues sous le régime de l’URSS. Le cinéaste met en scène une fresque impressionnante de personnages qui sont témoins de plusieurs réalités troublantes : Alexei le cinéaste, son fils Ignat (qui joue aussi Alexei) et son ex-femme Natalia (qui joue aussi la mère d’Alexei dans les scènes de flashback). Ce qui rend le film efficace et puissant c’est l’utilisation d’acteurs récurrents. Contraire à la méthode «classique», Tarkovski laisse les mêmes acteurs jouer des personnages qui viennent du passé et du présent ce qui brise la notion du temps auquel le spectateur s’est habitué au cinéma.
Stop, c’est l’heure de la clope

Je me réjouis maintenant des quelques coups de pieux qui ont ouvert la brèche dans le mur à travers laquelle tout passe. Vive la mondialisation! Vive l’ouverture sur le monde! Les films me transportent ailleurs, et bien que le voyage ne soit pas toujours plaisant, il est pour ma part nécessaire. Et si je suis réveillé après-demain par le lourd martèlement du tambour de la révolution, je serais plus porté à aller me coucher et rêver qu’à marcher dans les rues et brandir fièrement le drapeau noir. Mais ça, c’est ce que je pense aujourd’hui. Demain est un autre jour.